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le Blog du Migrant
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9 avril 2008

LE MUR DE LA HAINE

Immigrés au pied du mur

A Padoue, en 2006, sous la pression de l’opinion et de la Ligue du Nord, le maire de gauche a isolé un quartier, en proie aux trafics et à la prostitution.

De notre envoyé spécial à Padoue ERIC JOZSEF

QUOTIDIEN LIBERATION : lundi 7 avril 2008

A Padoue, il est devenu aussi célèbre que celui de Cisjordanie ou de Berlin. Demandez il muro. Et tous les passants indiquent sans hésitation la via Anelli, dans les quartiers est de la ville. Le mur a ses partisans, nombreux, ses détracteurs, plus rares, et un inspirateur : le maire de centre-gauche Flavio Zanonato qui, en août 2006, fit dresser cette palissade pour répondre à la colère des habitants qui ne supportaient plus leurs voisins étrangers, le bruit, les trafics de drogue et les bagarres entre clans. Depuis, les immigrés ont été déplacés. Les six immeubles de la via Anelli, qui ont accueilli jusqu’à 600 personnes, sont vides. En attente d’être détruits. Les familles en situation régulière ont été relogées dans des quartiers de la ville. Les dealers se sont éparpillés. Le mur est resté. Trois mètres de haut, quatre-vingt de long et quelques tags qui circonscrivent des bâtiments autrefois malfamés.

«Il fallait répondre à une urgence. C’était pour empêcher que les trafiquants de drogue ne prennent la fuite lorsqu’intervenait la police», explique le maire de cette belle cité de Vénétie. «Un régime mafieux régnait via Anelli, détaille Daniela Ruffini, son adjointe communiste (Parti de la refondation communiste, PRC) aux politiques de l’accueil et de l’immigration. Les dealers s’échappaient et se réfugiaient dans les maisons des riverains. Nous sommes intervenus après une bagarre à la hachette entre bandes tunisienne et nigériane.» «La mairie a adhéré à la ligne de la Ligue du Nord pour qui immigration égale insécurité», se désole l’avocat Massimiliano Stiz. Membre d’un autre petit parti communiste, il accuse la municipalité d’avoir cédé aux sirènes xénophobes du parti d’Umberto Bossi, qui domine la région de longue date. Désormais à Padoue, au moindre problème, des comités de quartiers se créent. Des citoyens exaspérés demandent des barrières, des grillages, des séparations. Pour se protéger des trafiquants de drogue et des prostituées. Ou simplement des étrangers. Le plus souvent, la division reste symbolique : une petite clôture ou un parapet. Mais on cherche à marquer le terrain, dans les rues, autour des magasins, voire des établissements scolaires.

Trois barrières à l’école

Dans la paisible école élémentaire Diego-Valeri, quelques dizaines de travailleurs immigrés suivaient dans la journée des cours d’italien et de formation. Le mois dernier, un jeune Bengali a pris une photo du bâtiment avec un écolier devant la façade pour l’envoyer à sa famille au pays. Un autre élève a été abordé par un homme qui distribuait des gadgets publicitaires devant l’entrée. Des parents d’élèves se sont indignés, réclamant immédiatement un mur. Cette fois, le maire n’a pas cédé. Mais trois barrières amovibles ont tout de même été installées et deux entrées distinctes aménagées, l’une pour les enfants, l’autre pour les adultes étrangers.

A cinq cents mètres de la via Anelli, dans le quartier Stanga, Gisela Scarferla est une figure populaire. Cette dynamique femme au foyer a recueilli des signatures pour ériger une enceinte via Luciano-Manara. «Entre la prostitution et la drogue sous mes fenêtres, je ne parvenais plus à dormir, alors j’ai dit "basta". J’ai commencé à hurler », explique-t-elle, estimant que le mur de la via Anelli n’a fait que déplacer les problèmes : «Ils ont soufflé sur des confettis.» Elle concède : «Les barrières sont des palliatifs. Pour finir, la ville risque d’être emmurée et nous vivrons comme dans une prison.» Mais, lâche-t-elle comme une évidence «en Italie, on ne fait pas respecter la loi et les extracommunautaires [terme courant en Italie pour désigner les immigrés non-ressortissants de l’Union européenne, ndlr] ne veulent pas s’intégrer.» Via Manara, les travaux de déblaiement ont déjà débuté. «Ce sera une grille et pas un mur, s’empressent de préciser deux jeunes militants associatifs du quartier, Pietro Anoé et Emanuele Naruti. Nous avons accepté cette solution car il y avait une telle pression de l’opinion publique, une telle volonté de séparation. En échange, nous avons obtenu des garanties sur des programmes d’intégration

Le maire Falvio Zanonato se réclame du même pragmatisme : «Si les parents de l’école Valeri ressentaient le besoin d’une séparation à l’entrée, pourquoi pas ? L’essentiel, c’est qu’ils laissent leurs enfants en classe avec les fils d’immigrés.» Sous la pression de la Ligue du Nord - qui ne pèse qu’un peu plus de 5 % des voix à Padoue mais dont les tirades xénophobes rencontrent un écho beaucoup plus large dans la population -, le maire de Padoue navigue entre deux écueils. Il refuse catégoriquement de céder aux discours racistes mais soutient que la question de l’immigration ne peut-être balayée d’un revers de la main. «Au début des années 80, lorsque j’étais jeune militant du PCI, j’avais été scandalisé par l’affaire des bulldozers de Vitry, avoue-t-il. Je me disais comment est-il possible que les camarades français puissent détruire un foyer de travailleurs immigrés. Jamais, je n’aurai pu penser me retrouver vingt-cinq ans plus tard avec le même type de problématique.»

Main-d’œuvre bienvenue

D’une certaine manière, Padoue est un résumé des défis posés à tout le pays et en particulier à la Vénétie. En quelques années, un flux massif d’immigrés est venu fournir en main-d’œuvre les entreprises d’une région prospère mais vieillissante, autrefois terre d’émigration. «Quand j’ai été élu maire la première fois en 1993, il n’était pas question d’extracommunautaires, poursuit Flavio Zanonato. Ils étaient à peine 2 000.» Aujourd’hui, les étrangers en situation régulière sont dix fois plus nombreux et représentent 10 % de la population de Padoue. Dans les écoles, le rapport avoisine les 15 %. Dans un contexte de quasi-plein-emploi, les étrangers sont essentiels à une industrie qui manque de bras. «Les immigrés sont les bienvenus quand ils travaillent mais ne doivent pas avoir une vie à l’extérieur de l’usine», résume, accablé, l’avocat Stiz.

Sur la place principale de Padoue où il mène campagne électorale, le petit entrepreneur et secrétaire local de la Ligue du Nord, Fabrizio Borron, confirme : «Avec le mur, le maire ne va parvenir qu’à nous créer des ghettos. La solution, c’est de renvoyer les étrangers en situation irrégulière. Ceux qui travaillent peuvent rester. Ils ne posent pas de problèmes. Le soir, ils sont fatigués de leur journée et vont dormir.» Pas question pour la Ligue de parler d’intégration. Dans la campagne électorale actuelle, les deux principaux partis de droite, Forza Italia et Alliance nationale, ont plutôt abandonné le thème de l’immigration à leur allié électoral de la Ligue du Nord. L’an dernier, dans tout le nord de la péninsule, le parti de Bossi a encore durci ses positions. Un conseiller municipal de Trévise a, par exemple, déclaré qu’il fallait «faire comprendre aux immigrés comment ils doivent se comporter» y compris en s’inspirant des «nazis». Près de Vicence, un maire a décidé que les enfants d’extracommunautaires ne pourront pas bénéficier de bourses d’études. De son côté, avec quelques militants, Fabrizio Borron est allé manifester sur un terrain alloué par la ville à la communauté musulmane pour y construire une mosquée. Le secrétaire local de la Ligue tenait en laisse un porc pour que celui-ci «salisse» le lieu par son urine.

«Nous avons tous été un peu imprégnés des idées de la Ligue du Nord, y compris à gauche», regrette le retraité Gilberto Gambelli, ex-conseiller municipal communiste qui estime que pour combattre le racisme et la peur des étrangers, «il faut parfois faire des choix antipathiques comme le mur». Quand on fait remarquer au maire de Padoue qu’il a fait provisoirement retirer les bancs publics d’une place ou se retrouvaient les immigrés, tout comme l’a fait le maire (Ligue du Nord) de Trévise, Giancarlo Gentilini, connu pour ses propos racistes, Flavio Zanonato s’agite : «Si cela améliore la vie commune, je n’ai pas de problèmes à retirer les bancs. L’important, c’est de régler les problèmes des gens.» Et d’ajouter : «Plus on met l’accent sur le mur, plus je gagne en consensus

Peur «des islamistes»

Autour de la via Anelli, les riverains lui en savent plutôt gré. «Certains dealers continuent à passer en sautant le mur. Mais cela a permis de montrer que la mairie s’occupait enfin du problème», commente l’infirmier Sirio Turco. «Le mur ? Je m’en fous, l’important, c’est qu’ils combattent les trafiquants. Les extracommunautaires qui ne travaillent pas doivent s’en aller. Ils nous causent du tort», affirme l’ouvrier marocain Boubacer Gamouch. D’autres habitants, âgés, continuent tout de même de crier leur peur des voisins «islamistes, al-qaedistes, terroristes et méchants». «La gauche italienne a trop longtemps fait l’erreur de ne pas prendre en compte la peur», insiste Flavio Zanonato. Face à une droite hégémonique dans la région, «quand les citoyens sont inquiets, cela ne sert à rien de les traiter de racistes. Il faut communiquer, fournir de petites solutions». Sans céder sur l’essentiel.

Favorable au droit du sol et au vote des étrangers aux élections locales, le maire de Padoue multiplie d’ailleurs les initiatives propices à l’intégration : «Je me bats par exemple pour qu’à la différence de certaines villes gérées par la Ligue du Nord, il n’y ait pas des écoles pour Italiens et d’autres pour étrangers.» Flavio Zanonato s’enorgueillit d’avoir facilité la création de mosquées et de soutenir les cuisines populaires gérées par des sœurs catholiques qui accueillent chaque jour des centaines d’immigrés. Quant aux murs et autres cloisons, ce ne sont que des placebos destinés à «faire tomber la température», laisse-t-il entendre. «Pour bien travailler, j’ai besoin d’un climat serein», insiste-t-il, tout en reconnaissant que l’exercice est difficile. Le patient travail de relogement des familles d’immigrés de la via Anelli, engagé par son équipe avant même la construction du mur, a été en partie occulté par l’initiative spectaculaire d’août 2006. Alors du bout des lèvres, le maire concède : «Si c’était à refaire aujourd’hui, via Anelli, je me contenterais d’un simple grillage

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